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14 janvier 2021 4 14 /01 /janvier /2021 00:45

31 décembre 2010

“Ils ont dit que c'était  une questions de jours

-ok je prends le premier avion”

 

La dernière fois qu’une conversation de cette teneur avait eu lieu c'était 10 ans plus tôt à propos de maman et elle avait tenu 6 mois de plus, mais là, pour papa, je savais que c'était vrai,  imminent, il était trop mal en point. 

 

Thom s’est occupé de me trouver un billet d’avion pour le soir même et j’ai fait ma valise. 

J’ai dûexpliquer à Cameron pourquoi je partais. Mais le plus dur c’etait de ne pas pouvoir dire quand je revenais. Parce qu'à 4 ans quand tu entends “je ne sais pas quand je reviens” ça fait un peu pareil que “jamais”. 

 

Et c’est comme ça que je me retrouve le 31 décembre 2010 à l'aéroport de Delhi à minuit. Je suis à 1000 sur l'échelle de tout ce qui se mesure. A part mon coeur, je trouve que rien ne va assez vite. Tout ce temps que ça va me prendre pour arriver jusqu'à papa c’est trop long. J’ai pas de patience, tout m'énerve, les gens sont cons (bon, ça comme d’habitude) mais là en plus j’ai la terreur d’arriver trop tard. Si c’est le cas, je vais imploser.

Je ne peux pas me permettre de ne pas le voir. Il faut que je lui parle une dernière fois. 


 

1r janvier 2011

A l’arrivée, Viviane m’attend.

 Et là, parce que dans l’heure la plus noire il y a toujours la possibilité qu’une petite joie apparaisse, elle ne me tend pas les bras pour m’embrasser mais le Gala de janvier ouvert à une page où on voit Carla Bruni tripoter Zoe lors de sa visite à Delhi.

La veille,  papa, encore assez cohérent, l’avait su, avait demandé à ce qu’on lui achète un numéro du magazine et qu’il trône  sur la table qui sert à manger, remisée dans un coin de sa chambre parce qu’il n’en n’avait plus usage, ayant cessé de s’alimenter outre les perfs. 

Chaque fois  qu’une  infirmière, médecin, aumônier, visiteur etc…venait il leur disait  que sa fille et sa petite-fille étaient des stars! Comme la morphine le faisait pas mal débloquer, ils ne l’ont peut-être pas cru, mais je pense que Lucie leur a confirmé. En tous cas quand je me suis présentée à la chef de service, elle n’a pas dit “ah oui celle qui habite en Inde” mais “ah celle qui est dans Gala”. 

Plaisanteries échangées sur cet événement people pour briser la glace, tripotage des joues de Zoé, puis retour à la réalité sombre de la situation de papa.

“On attend, c’est bien que vous ayez pu venir avant la fin.  Faudra penser à nous apporter la tenue dans laquelle vous souhaitez l'apprêter. Normalement on n’autorise pas les enfants dans ce service mais bon, vues les circonstances, on ferme le yeux” 

J'espère bien que tu me laisses emmener ma gosse! C’est la seule source de joie que je peux apporter à papa! En plus tu veux que je la mette où sinon? Son petit dej est situé dans mes miches, on peut pas être separées. 

 

Oh il était tellement content de nous voir! Sauf quand  il a cru que les petits tigres de la couverture de Zoé allaient lui sauter dessus pour la bouffer, là il a flippé et a presque bondi hors de son lit pour la sauver. Enfin, bondi, c’est un bien gand mot. Disons qu’il s’est redresse promptement, aussi vite que lui permettait ses forces, quoi.

Pour infos, les tigres étaient des petits sujets dessinés, donc pas d’aspect réalistes, et surtout faisaient 5 cm carrés. C’est plutôt la gosse qui les aurait bouffer, ces petits tigres!

Le pauvre. J’ai eu du mal à le convaincre et à le calmer. Cette morphine, c'était de la bonne! 

 

2 janvier

 Viviane a dû rentrer chez elle parce que même dans les épisodes les plus tristes, la vie n’en a rien a foutre, elle continue, avec les gosses, le boulot, tout. 

Après notre visite a papa ensemble, on est allés au resto, et Viviane m’a dit “c’est la dernière fois que je le vois vivant”.

La vérité de ses paroles, irréfutables, véridiques, immuables, m’a déchiqueté le cœur. Mille millions de morceaux. Parce qu’on le savait, mais de l’entendre c'était encore plus cruel. Et sûrement qu'à dire encore pire. Moi au moins je suis retournée le voir après mais elle, la pauvre Viviane…

 

3-9 janvier

Après le départ de Viviane, il restait Lucie/Liam et moi/Zoé. On alternait les jours de visite, celle qui allait à l'hosto passait par le Leclerc en revenant pour rapporter les courses pour la journée suivante.

Donc là, comme on était 2 meufs seules, sans supervision maritale ni parentale,  avec des gosses en bas âge en train de vivre un traumatisme émotionnel, on n’a pas toujours pris des légumes, si vous voyez ce que je veux dire. Et un coup on est meme allé dans un resto chic pour se changer les idées ( une bonne idée de Thom, que j’ai suivie pour une fois). On se couchait tard en regardant Grey’s anatomy. C’est un peu paradoxal parce que quand tu sors d’une journée d’hosto peut-être que t’as pas envie d’y retourner à travers cette série, mais on est un peu dingue comme ça, Lucie et moi. Je n’ai jamais plus regardé un seul épisode après cette période.

 

Un jours l'infirmière m’a dit de sortir parce qu’il fallait faire chais pas quoi à papa.

Dans le couloir, je suis restée devant la porte, sans m’aventurer aux alentours.  Je savais que j’avais largement le temps de vadrouiller mais je ne voulais pas m’absenter pour être bien là quand la porte se rouvrait. Chaque seconde compte. 

Je me faisais quand même un peu chier alors je laissais mon regard balayer l'étage, on sait jamais des fois qu’un truc distrayant se passe comme dans  Grey’s anatomy. Et la je croise le regard de la dame de la chambre d’en face. La porte était ouverte, elle regardait la télé jusque là. Je dis timidement bonjour parce que je suis gênée de l’avoir vue alors qu’elle n’a déjà que peu d'intimité dans ce lieu.

Elle a une jambe dans le plâtre et sa propre chemise de nuit donc je sais qu’elle va bien et qu’elle va rentrer chez elle, un jour. Je me dis qu’elle en a de la chance!

“Vous êtes la fille du monsieur d’en face?

-oui (et la comme je suis un peu mégalo je crois qu’elle veut me parler de Gala, donc je souris, prête à me la péter)

-il crie la nuit vous savez. Il appelle Catherine. C’est vous? Ca s'entend qu’il est en grande souffrance et qu’il appelle a l’aide.

J’explique vite fait que Catherine c’est ma mère, morte en 99,  mais je reste très bouleversée par le fait que ce mec est sous une tonne de morphine mais que c’est inefficace (pareil que pour maman, tiens) donc il en est à un stade où on peut rien faire pour son confort.

 Attendre la mort quand tu as une maladie qui a gagné c’est une chose.  Être privé de ta dignité parce que quelqu’un d’autre se charge de gérer  tes nécessités primaires, que tes fringues sont tout sauf ça et que la porte de ta chambre reste ouverte la nuit, c’en est une autre mais le pire, le pire c’est que tu souffres tellement que ce que la médecine te propose ne t’assure aucun confort. T’attends sans fin que la mort vienne te libérer. Tu pars en souffrant comme un chien. Je pense que c’est la pire humiliation et on devrait pouvoir décider à titre personnel et individuel de mettre fin à ça quand on en est là. 

Les gens qui sont contre l’euthanasie n’ont jamais souffert comme mon père était en train de souffrir. Alors ils peuvent juste la fermer.

 

10 janvier 2011

Le dernier jour que mon père m’a vue, c'est-à- dire qu’il était encore lucide et qu’on pouvait parler, j’ai voulu lui dire mille choses tendres. Je n’ai pas pu. Je voulais lui demander pardon de n’avoir pas été plus indulgente. Je n’ai pas pu. Je n’ai pas pu parce que les mots n’arrivaient pas à sortir. Je pensais qu’ils étaient trop directs, et nous on se parlait entre les lignes, avec option tournage autour du pot. Dire franchement les choses ne nous ressemblait pas et la soudaineté des tels aveux allait confirmer ce qu’on savait pourtant: c’est la fin. Je ne voulais pas que des paroles dites figent cette réalité. En ne disant rien, on pouvait faire semblant qu’on allait se revoir plus tard. 

 

12 janvier

Le dernier jour que j’ai vu mon père, il était en vie, mais pas vivant. Son corps était encore en état de fonctionnement mais son âme ne répondait plus. J’essayais de l’appeler mais ça n'a pas suffit à ce qu’il se "réveille". Tout ce que je voyais c'était des spasmes, des mouvements brusques mais faibles. Comme quand un chat rêve. Sauf qu'à voir le faciès, le rêve était un cauchemar. Je ne sais pas comment vous le décrire. Je voyais une atroce souffrance physique mais je savais que papa n'était plus là et s'était libéré. Je suis restée toute la journée, rien n’a changé. L'infirmière m’a dit que c'était comme ça depuis la veille au soir. Elle pleurait en me le disant et la pauvre ne savait pas comment me dire que ça ne s'améliore pas et que c'était une question d’heures. Je suis rentrée, le lendemain, 13 janvier 2011, on a eu le coup de fil. 

 

Il faut savoir que c’est possible pour une seule personne, en un seul moment, de ressentir toutes les émotions du monde. 

J'étais profondément triste d'être orpheline; soulagée que papa ne souffre plus; gaie de passer mes journées avec Lucie; apaisée par le contact de Zoé; contente de retrouver Cameron et Thom qui allait nous rejoindre; furieuse que papa ait souffert autant; inquiète de devoir rentrer et laisser les autres gérer la vente de la maison sans que je puisse les aider; lâche de ne pas avoir dit je t’aime chaque fois que je le pensais.

 

Et ça, aujourd’hui,  ça me pèse encore, comme un boulet au pied, 10 ans plus tard et je pense que je vais me le traîner jusqu'à la fin.

 

Papa et Lucie

Papa et Lucie

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