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14 janvier 2019 1 14 /01 /janvier /2019 02:40

 

Mon père est mort d'un cancer lié au tabagisme, le 13 janvier 2011.

 

Quand je dis ça, la plupart du temps, mon interlocuteur reste coi. Profitant de cette pause, je rajoute, semi-innocemment, l'air de rien: " Du coup, tu sais, tu devrais peut-être penser à arrêter de fumer. Juste un conseil."

 

Et là, il y a deux écoles: les "faut bien mourir de quelque chose" et les "tu sais pas comme c'est dur d'arrêter".

 

C'est vrai que je ne sais pas ce que c'est d'arrêter, parce que je n'ai jamais commencé.

Par contre, je sais ce qui est dur, voir son père mourir à petit feu, se recroqueviller en position foetale petit à petit au fil des jours, dans une chambre d'hôpital publique où la porte de la chambre est toujours ouverte, aussi ouverte que la petite chemise de nuit ridicule qui ne ferme pas dans le dos.

Donc, non seulement, tu perds ta pudeur, ton intimité et ta dignité, mais dans le cas de papa, tu perds aussi la boule, à cause de la morphine.

Il avait atteint des doses maximales après lesquelles ils t'en donnent pas plus parce que ce serait une overdose, donc il n'était  pas soulagé mais il avait quand même tous les effets secondaires, principalement les hallucinations (les autres trucs c'est dégueu, je vais pas en parler).

Les hallucinations, en tous cas chez papa, c'est juste une autre sorte de souffrances, en plus de celles qui sont la raison pour laquelle tu prend la morphine. Elles venaient  à l'improviste interrompre un moment complètement cohérent, et repartaient comme elles étaient venues. Une sorte de courant d'air de folie, furtif, sournois, parti aussi vite qu'il est venu mais dont papa se rendait compte. Etre au bord de la folie, c'est un truc, mais s'en rendre compte, c'est pire.

 

La veille de sa mort, il était si fatigué, et pas juste du manque de sommeil ou de nourriture, mais de ce que sa vie était devenue, (enfin, je dis "vie", mais bon, c'est pas une vie d'en être là), de savoir que la fin est proche et que ca va être pire avant d'être délivré de toute cette merde. Y a un moment où ton choix n'est plus "vie ou mort" mais "souffrance ou mort", et là, tu te poses pas la question, ta préférence, c'est la mort.  Tu souhaites juste que ça s'arrête, rapidement, parce qu'au moins comme ca, tu souffriras plus.

Tout ça je l'ai vu physiquement se produire sur mon père.

 

Ce pauvre homme, qui n'avait pas que des amis, qui avait son petit caractère, avec qui je me suis frittée un millions de fois, qui était très exigeant, qui a eu tant de malheurs dans sa vie (je vous raconterai tout ça un autre jour), mais qui a eu le temps de me léguer des valeurs et des principes qui valent de l'or, et surtout, surtout, surtout, qui m'aimait plus que personne.

Ce pauvre homme, donc, il est mort sans moi, sans ma main à serrer, sans mes caresses, sans mes "je t'aime" parce qu'il était déjà inconscient la dernière fois que je l’ai vu, la veille de sa mort.

Moi c'est tout ça que je trouve dur, alors qu'arrêter de fumer, je pense que ça peut se faire. Pas facilement, mais ça peut se faire. Y a des techniques, des professionnels, des médocs, des dispositifs. T’es pas obligé d'être seul dans la démarche. Et s'il faut une motivation, relis ce que je viens de dire et pense qu'au lieu de moi, c'est tes enfants.

 

Quant à ceux qui me répondent "faut bien mourir de quelque chose", sachez que la question n'est pas la mort mais les jours de souffrance qui y mènent. Mourir, c'est rien: tu respires un coup et c'était le dernier. En une seconde c'est fait. Mais rester dans un etat ni mort ni vivant pendant des jours, vous ne vous imaginez pas comme c'est dur pour la personne et son entourage.  Le malade ne peut plus supporter sa souffrance mais n'a pas le choix que d'endurer ça parce que rien ne peut plus le soulager et ses proches le regardent crever à petit feu, impuissants, témoins de cette souffrance. Ils sont prêts à tout pour que ça s'arrête, sauf que rien ne peut arrêter ça. Donc, oui, on meurt tous de quelque chose, mais je te jure que tu veux pas mourir comme ça.

 

Voilà, j'ai dit ce que j'avais à dire, ça n’engage que moi, faites vos propres choix.

 

Et avant qu’on me saute dessus je prends les devants: non, j'ai pas dit que les gens qui ne fument pas ne mourront pas de cancer, ou que ceux qui fument mourront du cancer. J'ai juste dit que le tabac augmente les risques  de mourir en souffrant horriblement. Mais c'est toi qui vois, moi, j'ai déjà donné.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Arrête!
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